L'eau de distribution fut la première voie de fluorisation, mais elle a aussi soulevé beaucoup de critiques d'ordre éthique. Aujourd'hui, on relève les formes les plus diverses, allant du dentifrice et du bain de bouche au sel de cuisine. Afin de faire bénéficier les habitants des régions où l’eau n’est pas ou pas assez fluorisée, l’idée a rapidement germé d’ajouter à l’eau de distribution la concentration magique de 1 ppm de fluor. Avant de lancer un tel programme, de nombreuses et nouvelles expériences ont été menées, de 1942 à 1945, tant aux Etats-Unis qu’au Canada, afin de prouver l’efficacité de la méthode et son innocuité. Le principe de ces tests est systématiquement identique : deux villes dont l’eau n’est pas naturellement fluorisée sont sélectionnées, qui doivent répondre à des critères de similitude très précis entre elles. L’une de ces villes voit son eau de distribution artificiellement fluorisée, tous les autres facteurs restant inchangés. La seconde ville sert de "témoin", et pas un iota n’y est changé. Après quelques années, on évalue l’effet de la fluorisation de l’eau de la première ville par rapport à sa jumelle moins favorisée. Dans tous les cas, la régression des caries a été spectaculaire, les chiffres oscillant entre 40 et 50 pour cent. Plus tard, des études européennes cette fois ont encore confirmé ces résultats. Enfin, il faut signaler que, dans les années soixante, sous l’effet de pressions idéologiques, certaines villes artificiellement fluorisées ont fait volte-face en arrêtant la campagne préventive : les conséquences furent désastreuses, avec le retour rapide de la carie. Le cas le plus saisissant est sans conteste celui de la ville d’Antigo où, après dix années de fluorisation artificielle, les robinets coulèrent de nouveau sans fluor à partir de 1959 : en 1966, l’incidence de la carie dans cette ville avait raugmenté de 112 pour cent. La publication de ces résultats poussa, un peu tard, les autorités à reprendre aussitôt les bonnes habitudes perdues. Vu la concordance de toutes ces expériences, l’Organisation Mondiale de la Santé, en 1969, a pris une résolution selon laquelle elle "recommande à ses Etats membres d’examiner la possibilité d’introduire la fluorisation de l’eau de distribution dans les régions où l’ingestion de fluor à partir de l’eau et des autres sources est inférieure aux doses optimales, ou, lorsque la fluorisation de l’eau de distribution n’est pas praticable, d’étudier d’autres méthodes d’utilisation du fluor pour la protection de la santé dentaire". Nombreux sont les pays qui, dès les années septante, ont adopté cette résolution et s’en félicitent. D’autres pays pourtant, sous des prétextes déguisés de difficultés juridiques, n’ont pas souscrit à cette résolution, fruit de soixante années de recherche… C’est notamment le cas de la Belgique. Les arguments présentés par les détracteurs de la fluorisation de l’eau potable sont notamment le gaspillage présenté par l’utilisation de l’eau à d’autres fins que la boisson : bains nettoyages, chasses d’eau… D’une part, on peut trouver spécieux cet argument comptable au regard d’un réel progrès médical, et, d’autre part, le coût de la fluorisation reste de toute manière négligeable en comparaison de l’économie réalisée dans le budget de la Sécurité Sociale. Quant à la prétendue pollution de la biosphère par ces rejets de fluor, elle est anecdotique : en effet, la nature contient d’avance beaucoup de fluor de manière très disséminée. À titre d’exemple, mentionnons que l’eau de mer en contient environ 1 milligramme par litre, c’est-à-dire la concentration idéale du point de vue de la prévention carieuse, ce qui est surprenant. Ce fluor peut se joindre à l’évaporation aqueuse des mers, et se retrouve tout naturellement dans les précipitations. L’atmosphère recèle par conséquent des trésors de fluor, et plus encore dans les régions industrielles, puisque les fumées de charbon en contiennent jusqu’à 300 ppm. Les sols et les roches de l’écorce terrestre, enfin, présentent également une grande richesse naturelle en fluor. L’argument d’une pollution de l’environnement par le fluor n’a donc aucun sens, puisque celui-ci en est déjà largement imbibé, et sans conséquence. Un autre argument avancé contre la fluorisation de l’eau de distribution est l’augmentation de la consommation d’eau en bouteille, qui court-circuiterait l’efficacité du système. On peut répondre que le café en bouteille n’existera probablement jamais, et que la plupart des bières et limonades disponibles sur le marché sont bel et bien fabriquées à base d’eau de distribution, et que leur acheteur n’échappe donc pas au bénéfice du fluor. Un dernier argument tenace est la prétendue liberté du consommateur de disposer d’une eau pure. Ceci est battu en brèche quand on sait la somme des additifs déjà présents dans l’eau de robinet, à la seule fin de la rendre simplement potable. S’il n’est vraiment pas possible de fluoriser l’eau de distribution pour quelque raison que ce soit, il est toujours loisible d’ajouter du fluor à l’eau courante des écoles, en corrigeant la concentration en fonction du temps passé en classe par rapport au temps vécu à domicile. De telles expériences ont prouvé que la méthode est très efficace, avec réduction du taux de carie avoisinant les 40 pour cent, bien que cette technique soit plus difficile à mettre en œuvre que la précédente. De plus, chaque particulier résidant dans une région dont l’eau n’est pas fluorée, que ce soit naturellement ou artificiellement, a le loisir d’adjoindre à un réservoir d’eau du fluor dans les proportions adéquates. Cette attitude peut paraître exagérée, mais de nombreuses familles l’ont pourtant déjà adoptée, surtout aux Etats-Unis. Pour ceux qui ne veulent absolument pas entendre parler de fluorisation artificielle de l’eau potable, il existe encore bien d’autres moyens de bénéficier de l’action bienfaitrice du fluor : il suffit de l’absorber sous d’autres formes. À cette intention, l’industrie pharmaceutique a déployé tout un éventail de possibilités. Dentifrices, gels, bains de bouche et comprimés sont disponibles depuis longtemps. Ainsi, il est probablement plus difficile aujourd’hui de dénicher un tube de dentifrice non fluorisé que l’inverse. Même les grandes surfaces disposent d’étals bien complets, et le plus difficile des consommateurs doit trouver ce qui lui convient. L’efficacité du fluor dans les dentifrices atteint 10 pour cent de réduction de l’incidence carieuse, ce qui n’est pas négligeable, mais ne représente somme toute qu’un cinquième à peine de l’effet de la fluorisation de l’eau de distribution. Les gels fluorisés, très hautement concentrés, et utilisés dans des gouttières sur mesure spécialement conçues pour chaque individu, sont à réserver pour des cas de prévention très poussée, par exemple chez des patients ayant subi une irradiation des glandes salivaires, suite à une tumeur maligne. Les bains de bouche au fluor, quant à eux, constituent un véritable pis-aller, puisque cette forme de présentation du fluor est la moins efficace d’entre toutes, et tend d’ailleurs à disparaître. Mais la plus répandue des méthodes d’ingestion de fluor reste sans conteste la prise de comprimés. Ces derniers sont généralement dosés à 0,25 milligramme de fluor, ce qui signifie une dose journalière idéale pour un nouveau-né et pour les enfants de moins de deux ans. Il est évident que, dans ces situations, il convient d’écraser le comprimé, et de l’incorporer au biberon. À partir de deux ans, la dose optimale est doublée, soit deux comprimés par jour. De trois à quatre ans, trois comprimés sont nécessaires, et au-delà de quatre ans, quatre comprimés, soit 1 milligramme par jour, sont recommandés. Pour une bonne protection, il est important que l’enfant ingère le fluor très régulièrement jusqu’à la formation des bourgeons de dents de sagesse, soit vers quatorze ans. Mais rien n’empêche l’adolescent et l’adulte de poursuivre le traitement : en effet, dès l’arrêt de la prise, l’effet du fluor commence à s’épuiser inexorablement! Évidemment, ces doses doivent être adaptées à la situation propre de chaque région, en fonction notamment du fluor contenu naturellement ou artificiellement dans l’eau de distribution. Le plus simple est de se renseigner auprès d’un dentiste, bien naturellement au courant de ces problèmes. Un autre bon conseil en matière de comprimés au fluor est de scinder la prise. Par exemple, un enfant de dix ans, dont le traitement nécessite quatre comprimés par jour, devrait adopter le mode de prise suivant : un le matin, un le midi, un au goûter, et un le soir. Et encore plus important, il s’agit de ne pas avaler immédiatement le comprimé, mais de le laisser fondre lentement, tantôt à gauche, tantôt à droite. En effet, la plus grande partie de l’action du fluor est locale, ce qui signifie que ce dernier passe directement du comprimé à l’émail. Dans le cas de l’avalement immédiat du comprimé, tout cet effet est perdu, et seule la quantité de fluor passant dans le sang et excrétée au niveau salivaire aura une action, bénéfique certes, mais moins prononcée. Il convient enfin de signaler l’existence de produits agroalimentaires qui, avant leur entrée dans la grande distribution, se voient industriellement fluorisés. Le sel de cuisine, notamment, a fait l’objet d’une fluorisation avec des résultats extrêmement encourageants. L’idée vient de Suisse, où le sel est depuis longtemps employé comme véhicule d’un supplément en iode, dans la lutte contre le goitre endémique des populations éloignées de la mer. Du sel iodo-fluoré est à présent disponible dans la plupart des pays. Le lait a également fait l’objet d’addition de fluor, bien que les problèmes juridiques et techniques soient ici plus complexes. Enfin, il existe de nombreuses marques de chewing-gum fluorisés. L’avantage de ces derniers est de mettre l’accent sur l’effet local du fluor. Cependant, l’addition de fluor au sel, au lait ou aux chewing-gums présente un inconvénient majeur : la grande variation de la consommation d’un individu à l’autre, alors qu’en matière d’eau de distribution, il est prouvé que la dispersion est beaucoup plus faible, et l’on peut ainsi bien mieux contrôler la quantité réellement administrée.
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Comprimés et bains de bouche (Alain Albert)
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Dans votre document intitulé "Sous quelles formes peut-on absorber le fluor?", vous mentionnez en bas de deuxième page que les bains de bouche au fluor constituent un pis-aller. Dans ce cas, pourriez-vous m'indiquer les avantages/inconvénients entre les comprimés et les bains de bouche? Quels seraient les motifs (donnés par un dentiste) qui pousseraient à l'utilisation de bain de bouche et à abandonner les comprimés? Quelques précisions rapides: Les bains de bouche ont été utilisés dans les collectivités (internats, prisons...) sans doute parce que leur préparation est moins onéreuse que celle des comprimés. Les comprimés (ou les gouttes) semblent plus indiqués dans la prévention à long terme chez l'enfant, car le fluorure ingéré a une excellente clearance salivaire, ce qui se traduit par un effet prolongé. Ceci explique probablement les meilleurs résultats épidémiologiques recueillis avec les comprimés. On utilise pourtant encore les bains de bouche à l'échelon individuel et davantage chez l'adulte dans les circonstances suivantes: - dosage propre pour un patient déterminé - association avec un autre médicament, par exemple un antiseptique (préparation magistrale) - recherche d'un effet strictement local - utilisation d'un gel dentifrice fluorisé et diluable - allergie à une composante galénique des comprimés Heureusement, le dentiste traitant détient toutes les données nécessaires au meilleur conseil pour son patient. Alain Albert |
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